Postures managériales : en finir avec le culte de la performance

Cet article est l’un des fruits de la collaboration entre l’Agora D.O.D.E.S. et AD Conseil pour la semaine de la qualité de vie et des conditions de travail. Il a été initialement publié en ©Creative Commons le 17 juin 2024 sur Le Blog QVT.

 

[ARTICLE – Semaine QVCT 2024]  Le manager est souvent malgré lui dans une posture managériale préjudiciable pour sa performance et celle de son équipe.

Par injonctions de l’entreprise, croyance, ignorance ou par choix, le manager adopte une posture qui peut dégrader le travail, les relations, voire la santé mentale.

C’est paradoxalement en mettant l’accent sur l’humain plutôt que sur les résultats qu’il sera possible d’améliorer la performance de tous, et donc de l’entreprise.

Cela nécessite de chercher à performer autrement, en étant un meilleur manager de soi et de ses équipes.

 

Performance par les résultats : des postures managériales nocives pour soi et les autres

Sous l’injonction d’atteinte de résultats, les managers adoptent souvent des postures qui sont en fait nocives pour eux et leurs équipes :

  • Par injonctions paradoxales de l’entreprise. Les systèmes organisationnels sont souvent involontairement dysfonctionnels. Lorsque seule est valorisée l’atteinte des résultats, alors que le discours officiel axe sur les valeurs et le fait de prendre soin des équipes, de nombreux managers se retrouvent coincés et dans l’impossibilité de concilier ces deux rôles, pourtant nécessaires.
  • Par croyance. Des experts devenus managers, qui valorisent avant tout le métier et la tâche avant le temps passé avec les équipes, veulent être à la fois dans la maitrise de l’expertise et le contrôle de leurs équipes. Ils se retrouvent alors sur tous les fronts
  • Par manque de conscience de soi et des autres. Sans accompagnement à devenir manager ou à grandir dans une posture de leader, il est facile d’être dans l’ignorance ou le déni de son style de management et de ne pas percevoir l’impact que l’on a sur ses équipes et ses pairs.
  • Par conformisme. Pour se conformer à la culture de l’entreprise, par reproduction de ce qu’ils ont vécu ou par peur de dire non à sa hiérarchie ou à ses équipes, de nombreux managers se retrouvent en sur-adaptation ou en conflit de valeurs.

Ces postures inadaptées dégradent la qualité de vie et les conditions du travail, les relations, voire la santé des individus. Cela vaut pour les collaborateurs, d’une part, chez qui notre expérience nous permet de constater l’effet délétère sur la motivation et l’engagement de l’excès de contrôle, du manque de cadre sur le poste ou la tâche, du manque de soutien, ou des instructions contradictoires de la part de managers. Cela vaut d’autre part pour les managers eux-mêmes. Selon notre expérience, un manager dans le contrôle, qui micro-manage ses équipes et qui ne délègue pas suffisamment, ou – à l’inverse – un manager qui cultive l’empathie et la relation avec ses équipes sans fixer de cadre, peut se mettre en difficulté et en souffrir, voire s’épuiser comme l’illustre la mécanique du burnout.

Au regard de l’augmentation du stress, de l’anxiété et de la dépression causés ou aggravés par le travail (enquête « Le pouls de la SST » menée en 2022 par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail – EU OSHA), n’est-il pas temps de repenser la performance ?

Nous proposons de changer de regard : plutôt que de chercher à performer pour et par les résultats, il serait question de performer en étant un meilleur manager de soi et de ses équipes, dans une vision plus engagée, inclusive et durable.

La bonne nouvelle est qu’il est toujours possible de changer d’état d’esprit, et donc de posture et de pratique. C’est ce que nous enseignent les études en psychologie sociale, et notamment de Carol S. Dweck, professeure à l’Université de Stanford.

 

Performer autrement : mettre l’accent sur l’humain

En mettant l’accent sur l’humain plutôt que sur les objectifs, il est plus facile d’embarquer, de motiver, de fidéliser.

Pour ce faire, il est important, selon nous, de bien se connaître et de s’accepter en tant que manager, de bien connaître son équipe (moteurs, personnalité, besoins),de faire preuve de courage managérial et d’accepter sa vulnérabilité.

Se connaitre et s’accepter pour choisir sa posture de manager en conscience :

Bien connaitre ses forces comportementales, ses fragilités, ses valeurs et ses besoins est la clé pour avoir de l’impact sur les autres. C’est ce qui nous permet de choisir en conscience comment réagir au mieux face aux situations forcément complexes et diverses de la vie de l’entreprise. Cela demande non seulement un travail d’introspection et de remise en cause, mais aussi un vrai travail d’acceptation de soi. Accepter d’être comme on est, de ne pas être perçu comme on aimerait l’être.

C’est cette humilité qui va permettre un vrai leadership, cette prise de recul qui permet de s’entourer des bonnes personnes pour atteindre ses objectifs. Et c’est aussi dans la conscience de l’impact que l’on a en tant que manager sur nos équipes que les collaborateurs pourront donner le meilleur d’eux-mêmes.

Solveig, une des co-autrices, s’est découvert être perçue comme un manager contrôlant. Cherchant à être exigeante et juste, elle a mis du temps à accepter qu’elle reproduisait malgré elle des codes et des postures de ses propres managers. C’est la crise du COVID et la distance créée par le télétravail qui l’ont finalement forcée à « lâcher prise », accepter une part d’incertitude et faire davantage confiance à son équipe. L’équipe, soulagée, est devenue plus autonome et motivée malgré les conditions de travail dégradées par le covid.

Connaître les moteurs et la personnalité de ses équipes pour les développer individuellement :

La performance revêt une définition différente pour chacun. Personne ne commence sa journée avec l’intention d’échouer., mais être performant n’est pas non plus un moteur pour tous.

En tant que manager, comprendre ce qui motive et met en énergie ses collaborateurs est essentiel pour les aider à trouver cette zone où plaisir, talent et contribution permettent de donner le meilleur de soi.

Il n’est plus à démontrer que l’empathie est une qualité clé chez les managers. Comprendre, ressentir et accepter les forces et les zones d’inconfort de chacun, et surtout leurs besoins, va permettre de construire des parcours de développement qui mettent en confiance.

Clotilde, co-autrice, accompagne les managers à trouver le bon curseur en intelligence de situation. Un manager sera plutôt en posture de supervision et de guidance avec une personne expérimentée et motivée. Et à l’inverse, ce même manager devra fixer des objectifs plus concrets et réguliers avec une personne ayant besoin de cadre ou étant en montée de compétence.

Faire preuve de courage managérial :

Le courage en management est la capacité à reconnaitre les moments difficiles où l’on peut se retrouver en situation vulnérable. Ce sont des moments d’inconfort, qui nécessitent d’identifier ses besoins et ses valeurs, avec le risque de s’exposer et d’agir sans en maîtriser toutes les conséquences.

Être en désaccord avec sa hiérarchie et oser une discussion difficile pour défendre ses équipes requiert du courage de la part d’un manager, et pourtant sera nécessaire et bénéfique.

Arthur, un manager coaché par Clotilde, a fait preuve de courage en accompagnant un collaborateur dans un moment difficile de sa vie personnelle. Il a été au-delà des normes de son entreprise en lui proposant un congé de trois mois, malgré la charge de travail, les exigences des clients et une certaine résistance de la hiérarchie. Ses efforts ont payé : le collaborateur est revenu avec encore plus de gratitude et d’engagement. Le manager en a tiré une source de fierté d’avoir défendu ses valeurs et su éviter le départ d’un collaborateur compétent.

Le courage c’est aussi de reconnaitre et d’accepter avec humilité et fierté que nous ayons des subordonnés plus compétents ou avec plus d’expertise que soi, et de savoir les encourager et les développer dans leur singularité.

 

Accepter sa vulnérabilité :

Changer de regard sur la performance en mettant l’accent sur soi, les autres, les moyens pour parvenir à un résultat plutôt que sur le résultat lui-même permet de créer les conditions pour aller plus loin.

Cela met beaucoup de pression sur les managers, à qui l’on demande beaucoup : d’être inspirants, justes, bienveillants, adaptable, réactifs

Une des clés n’est-ce donc pas d’accepter que l’on est faillible, pour lâcher la pression ?

Être un bon manager n’est pas inné. Accepter de demander de l’aide et d’être formé peut aussi être une source d’inspiration et un modèle puissant pour les équipes.

Certains athlètes disent avoir fait leurs meilleures performances après avoir vieilli et accepté qu’ils pourraient parfois ne pas ou ne plus réussir une épreuve. Paradoxalement, c’est en lâchant cette pression, en acceptant pleinement leur vulnérabilité, leurs limites et la possibilité de l’échec, qu’ils ont pu se surpasser.

 

Performer autrement : revoir collectivement les critères fondant la performance ?

Nous appelons de nos vœux les entreprises à donner aux managers les marges de manœuvre et le soutien dont ils ont besoin pour accompagner ces évolutions managériales, qui bénéficieraient à l’entreprise dans sa globalité.

Mettre en œuvre un management plus humain passe également par une réflexion plus participative et horizontale de la définition des critères fondant la performance et par le fait de reconsidérer la nature même de la fonction managériale.

Le rôle du management est avant tout de donner du sens au projet collectif. Aux entreprises de faire participer chaque échelon managérial dans la réflexion stratégique et la définition des objectifs et des moyens pour les atteindre de manière soutenable et acceptable. Et aux managers d’y faire participer chaque membre de leur équipe.  C’est en créant des conditions d’autonomie, d’engagement et de sécurité psychologique que le projet commun fera le plus de sens et aura le plus de chance de se réaliser et de performer de façon durable.

Auteur.ice.s

Solveig Le Pichon

Solveig Le Pichon

Consultante et secouriste en santé mentale chez PeopleMind

Elle a créé People Mind, un cabinet de conseil qui accompagne les entreprises dans leurs enjeux de prévention de la santé mentale. Son approche pluridisciplinaire et sur-mesure se veut résolument tournée vers l’humain. Ancienne avocate et responsable juridique, elle a exercé pendant plus de vingt ans en cabinets et entreprises de différents secteurs et environnements culturels.
Clotilde Croixmarie

Clotilde Croixmarie

Coach chez QuinteSens

Elle accompagne les managers et dirigeants dans leur singularité et pour un leadership engagé et inclusif. Elle a plus de vingt ans d’expérience en entreprises multi-nationales et en équipe de direction. 

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