Changer l’entreprise pour changer le monde : l’entreprise comme outil politique 

L’Agora D.O.D.E.S. – Dynamiques et Organisations de la Démocratie Économique et Sociale – s’est lancée le 16 janvier 2024 à l’École des Mines de Paris (PSL) lors d’une journée intitulée « Explorer la démocratie en entreprise ». Cette journée, qui a réunit entre 40 et 50 personnes lors de tables rondes, ateliers collectifs, conférences et moments d’échanges et de partages, a témoigné d’une forte motivation, d’un fort engagement et d’une forte ambition des participants. Le dynamisme et la dynamique du collectif augure de belles réalisations et de beaux projets pour la suite de la communauté. L’Agora D.O.D.E.S. – Dynamiques et Organisations de la Démocratie Économique et Sociale – est une communauté, soutenue par l’École et la Fondation des Mines de Paris, qui réunit des chercheur.e.s et praticien.ne.s qui travaillent sur ou œuvrent pour la démocratisation des organisations avec pour ambition de partager les pratiques, de créer de la connaissance et de donner à voir, tant au grand public qu’aux organisations et à la sphère politique.

Cette table ronde, intitulée « Changer l’entreprise pour changer le monde : l’entreprise comme un outil politique », compte 4 intervenantes et intervenants, merci à eux :

  • Jeanne CARTILLIER, consultante, facilitatrice et formatrice chez Resiliences,
  • Marion GRAEFFLY, directrice générale de Télécoop (collectif Les Licoornes),
  • Guillaume DESNOËS, Co-président de la Communauté des Entreprises à Missions et fondateur d’Alenvi,
  • Marc FLEURBAEY, économiste et philosophe, professeur à la Paris School of Economics

L’animation de la table ronde a été assurée par Corentin GOMBERT, chercheur en gestion et coordinateur de l’Agora D.O.D.E.S.

Vidéo  > Images : SINOK / Montage : Corentin Gombert

Texte > Retranscription : Laura Ricci (Associée chez Dalibo)

 

Retranscription

Corentin Gombert  00:15

– Rebonjour à tous. Nous sommes ici pour cette première table ronde de la journée : Changer l’entreprise pour changer le monde, l’entreprise comme outil politique.

Depuis quelques années, comme je l’ai déjà un petit peu dit en introduction, il y a de nombreux appels à démocratiser l’entreprise, qu’il s’agisse de pallier les dérives du capitalisme libéral, de soutenir la démocratie de la société qui serait jugée malade, de donner davantage le sens dans le travail, ses composantes et ses résultats.

L’entreprise devient peu à peu, et de manière assez indéniable je pense, un acteur politique. C’est peut-être même l’un des bras armés des personnes qui souhaitent changer le monde.

Je propose d’organiser les choses de la manière suivante : d’abord on va laisser un petit peu de temps à chacun des participants – 5 minutes environ – pour se présenter, pour présenter les collectifs, initiatives, mouvements dont il fait partie et qui font sens dans le thème de la table ronde, pouvoir même de présenter une expérience, une anecdote, une théorie, un avis sur l’entreprise comme outil ou acteur politique.

 

Marion Graeffly  01:20

– Et bien bonjour à tous, je m’appelle Marion Graeffly. Effectivement, je suis directrice générale de TéléCoop, le premier opérateur télécom coopératif. On est aussi membre fondateur d’un collectif qui s’appelle le collectif des Licoornes, avec 2 “o”, parce que nous rassemblons donc 13 coopératives qui, chacune à son niveau et dans son secteur d’activité, proposent des alternatives coopératives aux citoyens. Dans notre collectif, il y a aussi bien des coopératives comme Énercoop qui fournit de l’énergie renouvelable, comme Biocoop, que vous connaissez tous, qui travaille sur la mise à disposition d’une alimentation biologique saine et de qualité un peu partout sur le territoire, et ce, en mettant des collaborations avec les producteurs. On a aussi des autres coopératives comme Commown, qui fait par exemple de la location de matériel informatique, ou qui travaille justement sur l’économie de la fonctionnalité.

Donc en fait, nous, notre objectif, à la fois chez TéléCoop et au sein du collectif des Licoornes, c’est de réinventer et vraiment de mettre l’économie au service du vivant, on n’a pas peur de le dire, parce qu’en fait, on pense que l’économie, ce n’est qu’un moyen, une façon, finalement, d’organiser notre façon de vivre collectivement. Et puis, c’est une façon de rendre des services, et cetera.

L’objectif, c’est de dire que pour pouvoir organiser et pour pouvoir créer des organisations qui répondent véritablement à ces besoins-là, il faut qu’on puisse intégrer dans notre gouvernance l’ensemble des personnes qui à la fois bénéficient du service, mais qui le construisent aussi, et qui vont aussi quelque part, réfléchir à son impact, sa pérennité, et cetera.

Dans chacune de nos organisations, on a aussi bien les salariés, qui sont représentés, que les clients. On a aussi la particularité dans les SCIC de pouvoir avoir des bénévoles, donc on a des bénévoles qui sont aussi représentés dans nos structures. On a enfin les fournisseurs, les partenaires, les personnes sans qui notre métier n’existerait pas, donc on les intègre dans notre gouvernance.

En fait, c’est cette logique-là, celle de créer des entreprises qui sont au service de, finalement, la transformation. Chez nous – les Licoornes –  il s’agit de la transformation radicale de l’économie, parce qu’on intègre dans nos gouvernances toutes ces personnes-là.

Et le principe de tout ça, c’est que tout ce petit monde vote sur le principe d’une personne égale à une voix. C’est très particulier dans nos structures, puisqu’en fait, ce n’est pas parce que vous avez mis 10 000€ au pot ou 100€ que votre voix va peser plus ou moins. En fait, c’est parce que vous êtes simplement présent au capital de l’entreprise que vous allez pouvoir voter dans la structure.

La deuxième grosse différence, c’est le principe de lucrativité limitée, ça aussi c’est une différence fondamentale avec le reste de l’économie. Dans nos organisations, c’est statutaires, donc ça dépend pas de moi, en tant qu’en tant que dirigeante. C’est aussi la force je trouve des des SCIC. C’est à dire que si moi demain je pars en tant que cofondatrice de TéléCoop,  TéléCoop continuera de fonctionner comme ça. Le principe, c’est que 57 % des bénéfices sont gardés dans la structure, c’est à dire qu’ils sont pas redistribués aux actionnaires, donc à nos sociétaires. Et ça, ça veut aussi dire qu’en fait, quand on est actionnaire/sociétaire d’une SCIC, on sait qu’à la base on ne va pas chercher un profit à tout prix. En fait on sait qu’on va placer notre argent qui va servir vraiment à l’économie locale, à l’emploi local, à développer la structure, mais il ne sera pas là pour faire des milliers de petits comme c’est le cas dans l’économie classique. Et ça, ça change complètement la chose, c’est à dire qu’on ne fait pas les choses pour les actionnaires, donc finalement pour le profit à la fin de l’année qu’on est obligé de dégager. On fait les choses parce qu’on pense qu’elles sont bien : avec nos salariés, pour notre secteur d’activité, pour la transformation de nos secteurs d’activité au service de la transition écologique et sociale. Donc, ça nous permet aussi d’avoir cette liberté-là.

Peut-être quelques exemples très concrets du coup… voilà, je m’arrête après, parce que j’ai vu que c’était 5 minutes […]. Quelques exemples concrets : chez nous – un opérateur télécom coopératif au service de la transition écologique et sociale – ça veut dire qu’on ne vend pas de téléphone portable, on ne pousse pas à la consommation. On ne vend pas de téléphone portable, parce que c’est le cœur de l’impact environnemental du numérique. Et ça, c’est rendu possible parce que justement on a cette réflexion au service du long terme. Et donc, si on regarde la pollution numérique, et bien on n’a pas envie de vendre de téléphone, on n’a pas envie de pousser les gens à consommer, donc on n’en vend pas, et on les aide plutôt à garder le leur le plus longtemps possible. Voilà une des choses qu’on fait parce qu’on pense différemment et qu’on a cette gouvernance tout à fait atypique.

 

Guillaume Desnoës  06:24

– Bonjour à tous, Guillaume Desnoës. J’ai développé depuis 7 ans une entreprise sociale, donc une entreprise classique. Pas coopérative, mais avec un label ESUS, et qui est aussi société à mission. On fait de l’aide à domicile aux personnes agées. On emploie une centaine de personnes, avec un modèle d’organisation du travail qui a été conçu pour revaloriser les professionnels en leur donnant beaucoup plus d’autonomie. Donc avec un CDI, un contrat à temps plein généralement, mais ensuite beaucoup d’autonomie.

Chez nous, les auxiliaires de vie, ils – mais souvent elles, plutôt – elles gèrent leur planning, gèrent la relation avec les familles, décident qui ils ou elles recrutent dans leurs équipes. Et ça permet d’avoir des professionnelles beaucoup plus engagées, et un absentéisme notamment – c’est un proxy qu’on a pris – beaucoup plus faible.

Je suis également coprésident de la communauté des entreprises à mission donc, qui regroupe aujourd’hui 400 des 1400 sociétés à mission en France. Vous savez que depuis la loi pacte en 2019, les entreprises en France peuvent se doter de cette qualité, afin de dire dans leur statut ce qu’elles cherchent, à quels problèmes sociaux et environnementaux elles tentent à répondre au travers de leur raison d’être et au travers d’objectifs qui sont statutaires. Et ensuite, elle se plie à un double contrôle, d’une part par la gouvernance parce qu’elles créent un comité de mission, et ensuite par des tiers, puisqu’elles sont auditées tous les deux ans par un organisme tiers indépendant.

Aujourd’hui, ce mouvement, il est en en plein essor. On peut toujours voir le verre à moitié vin ou à moitié… à moitié plein, pardon, ou à moitié vide. Et bien à moitié vin aussi. [rires]

Aujourd’hui finalement, vous avez par exemple sur les 270 grandes entreprises au sens de l’Insee, déjà 20 qui, en 3 ans et demi, sont devenues « à mission ». Et vous avez 1 000 000 de salariés qui travaillent dans une société à mission. Je sais qu’il y a beaucoup de monde du monde coopératif, donc ce serait intéressant d’explorer les…  évidemment le but n’est pas du tout de se substituer à des formes juridiques. Dans les sociétés à mission, vous avez aussi bien des entreprises capitalistes que des entreprises coopératives comme le groupe UP ou les entreprises mutualistes. Donc, c’est c’est pas un statut, c’est une qualité qui vient en plus de la forme juridique pour aider l’entreprise à se mettre au service de toutes ses parties prenantes en fait, hein, c’est ça l’idée. Et ce n’est pas parce que vous êtes, finalement, dans l’ESS.

Au départ, c’était conçu plutôt par des chercheurs de cette maison, notamment Armand Hatchuel, Blanche Segrestin, et cetera. Ça a été plutôt conçu pour les entreprises capitalistes en disant qu’il ne faut pas qu’une entreprise – comme tu le disais [Marion] – se mette au service de ses actionnaires et oublie ses autres parties prenantes. Ce qui est intéressant, c’est que des entreprises qui avaient une gouvernance plus démocratique, de l’ESS, se sont aussi dit : « Ce n’est pas parce que je suis de l’ESS que je sers forcément toutes mes parties prenantes. Parfois je peux avoir tendance à servir principalement mes adhérents, mes sociétaires… mais finalement, mes salariés ? Le vivant ? Est-ce que j’ai des actions qui ont un impact positif ? »

Donc on voit que c’est pour cette raison que des groupes mutualistes – ça a  un peu surpris les chercheurs au départ, je crois – les groupes mutualistes, les groupes de l’ESS, s’en sont emparés. Aujourd’hui, c’est vraiment une grammaire commune pour toutes les entreprises qui s’engagent.

Et je voudrais juste faire un mini topo. Alors, moi je suis plutot praticien,  et un peu historien… amateur on va dire, notamment de l’entreprise. Et ce que je trouve fascinant dans le thème du jour, c’est que finalement le politique et l’action collective en vue de produire des biens ou des services ont été entremêlés depuis des siècles, avant même qu’on parle d’entreprise et qu’on parle de démocratie. Si on pense au Moyen Âge, et même à l’empire romain, quand on produisait des biens ou des services, c’était généralement dans le cadre d’un métier, d’une corporation qui gérait en fait toute votre vie, votre rôle dans la société – il y avait même des pouvoirs de police, et cetera – et qui disait à quoi sert ce métier. Finalement, depuis 200 ans, on sent qu’avec la création de l’entreprise moderne et la création des démocraties modernes, et bien il y a des mouvements d’attraction-répulsion entre ces deux mouvements de création, de l’entreprise d’un côté, et du cadre démocratique de l’autre.

Et je vois, moi, deux tendances qui sont intéressantes.

C’est d’une part le politique cherche à contrôler – enfin, plus ou moins selon les périodes, on sort d’une période très dérégulée – mais il cherche normalement à contrôler l’entreprise. Il y a toute une histoire au XIXe siècle de la généralisation de la société anonyme qui a donné les grandes entreprises d’aujourd’hui. Elle s’est généralisée avec beaucoup de freins, au départ, du politique qui ne voulait pas qu’on puisse librement créer une société qui déresponsabilise finalement énormément les acteurs. Je crois qu’on va parler de responsabilité, après.

Il faut savoir que le Conseil d’État validait les créations de sociétés anonymes jusqu’à 1867, et on a libéralisé ça, mais ça a donné lieu à énormément de débat politique. Ensuite, il y a eu des débats tout au long du au début du XXe siècle. Finalement, depuis 50 ans, on a considéré qu’il y avait un ordre économique à côté du politique et on a presque oublié que la fiction juridique – comme dit Alain Supiot, qui est le cadre juridique de l’entreprise qu’on utilise tous les jours – n’était en fait pas tombée du ciel, mais que c’était le le peuple, les représentants du peuple qui l’avaient voté, qui avaient décidé que c’était ça, le cadre de l’action collective.

On a eu des créations d’autres cadres, heureusement : les coopératives, le mutualisme qui permet d’avoir différents outils. Mais finalement la société à mission, pour moi, on n’est pas arrivé, on n’a pas créé le cadre d’un seul coup magique qui permet à la société d’être compatible avec l’idéal démocratique. On a remis finalement en route un processus de dialogue permanent, démocratique je pense, entre le monde économique et les régulateurs, pour rendre l’entreprise compatible avec l’intérêt général.

Une autre tendance qui est intéressante est que depuis que les entreprises se développent, vous avez des gens, que ce soit via des entreprises de l’ESS ou via des entreprises parfois capitalistes, qui en fait ont envie d’en faire des vecteurs de changements sociaux. Un exemple, moi que je trouve très intéressant quand on se plonge dans l’Histoire, c’est la Caisse d’Épargne. Un jour, je me suis intéressé à l’Histoire de la Caisse d’Épargne. Aujourd’hui vous savez que c’est plutôt un mouvement mutualiste, coopératif. Et en fait ça a été créé en 1818 sous la forme d’une société anonyme à but philanthropique par des banquiers qui faisaient ça comme ce qu’on appellerait aujourd’hui un social business. Et ils faisaient ça pourquoi ? Parce que la cause de l’épargne populaire, c’est à dire de rendre accessible l’épargne au plus grand nombre, ce qui n’était pas du tout le cas quand on était pauvre à l’époque. Et bien on économisait de l’argent, et ils se dévalorisaient très vite avec les les inflations, et les riches possédaient des actifs et devenaient encore plus riches.

L’épargne populaire, c’est Benjamin Franklin qui avait importé cette cause en France. L’État voulait pas s’en saisir, donc vous avez des entrepreneurs sociaux qui ont presque détourné le cadre juridique de l’entreprise avec quelque chose qui ne serait plus du tout possible aujourd’hui, c’est à dire une entreprise anonyme avec des capitaux, mais à but philanthropique, qui cherche pas à gagner de l’argent. Donc c’est un exemple. Et d’ailleurs, ce qui est marrant, c’est qu’après elle a utilisé d’autres statuts : elle a été publique un moment, ensuite elle est venue dans l’ESS. Donc tout ça pour dire qu’il y a toujours cette volonté qui, aujourd’hui, est revigorée avec le monde de l’ESS mais aussi avec des vagues de d’entrepreneuriat social, cette volonté d’utiliser l’entreprise pour répondre à des sujets d’intérêt général et d’intérêt collectif. Voilà un peu ce que je voulais dire, et je laisse la parole, parec que j’ai déjà parlé trop longtemps. [rires]

 

 

Marc Fleurbaey  13:12

– Merci. Donc je m’appelle Marc Fleurbaey. Je suis chercheur, en fait plutôt économiste que philosophe. Mais c’est vrai que je me suis intéressé à la démocratie dans l’entreprise par le biais de la philosophie, en réfléchissant à la définition de la démocratie, et en proposant de creuser un peu l’idée que la démocratie consiste à donner le pouvoir à ceux qui sont affectés par les décisions qui sont à prendre.

Et on peut même creuser encore un peu plus en se disant qu’il faut répartir le pouvoir, mais pas sous la forme une personne, une voix, parce qu’il peut y avoir des niveaux d’implication, des niveaux de vulnérabilité aux décisions qui sont différents. On peut même défendre la thèse selon laquelle il peut y avoir des inégalités de pouvoir en fonction de l’implication des intérêts des uns et des autres dans la décision qui est à prendre.

Cette réflexion sur la définition de la démocratie évidemment appliquée au monde de l’entreprise amène à remettre en question la situation où notamment, les salariés ne sont pas du tout impliqués, ne participent pas à des décisions qui les affectent énormément lorsqu’ils passent leur vie, au moins leur vie diurne, dans l’entreprise, et ils s’impliquent énormément, ils organisent leur vie familiale autour de leur vie professionnelle, et cetera. Donc il y a beaucoup de choses qui sont extrêmement impactantes dans les décisions de l’entreprise, et s’ils ne sont pas consultés, s’ils ne participent pas à ces décisions, c’est une violation évidente de cette notion de démocratie. Alors ça, c’est la première expérience personnelle que je voulais relater.

La deuxième, c’est – Corentin a parlé du Panel international sur le progrès social, merci de faire de la pub – donc c’est c’est une initiative qu’on a lancé en 2014-2015 avec un groupe, un réseau international. On a été à peu près 350 dans ce réseau à essayer de construire un rapport sur l’état des sociétés, qui est paru en 2018… un gros truc en en 3 volumes. Et puis un petit bouquin plus accessible, Manifeste pour le progrès social, qui est sorti à côté de ça. Et on a vraiment voulu faire quelque chose qui soit globalisant tout en respectant les différences de société, de culture dans le monde, et réfléchir aux tendances, réfléchir aux défis auxquels on fait face. Et dans cet ensemble, pour moi, c’était sympathique de voir que le thème de la démocratie dans l’entreprise est sorti comme l’un des thèmes importants, comme un enjeu, pour réfléchir à l’évolution des sociétés.

Effectivement, l’entreprise n’est pas seulement un acteur politique, c’est un acteur structurant de la société. Les gens acquièrent leur statut social, enfin très fortement, à travers leur profession, leur activité professionnelle.

Donc ce rôle structurant est essentiel, et la forme de gouvernance des entreprises, le type de missions que les entreprises se donnent ont un impact très très fort sur la façon dont la société s’organise, sur la façon dont les gens pensent leur but dans la vie, même à un niveau assez profond.

Et puis il y a des questions effectivement très intéressantes dans ce rapport que j’ignorais avant, qui viennent plutôt des historiens et des juristes, sur la responsabilité limitée qui est une sorte de cadeau énorme fait aux entrepreneurs, et qui pose beaucoup de questions.

Enfin, je peux peut-être parler de recherches plus récentes… Ah oui, encore un dernier mot sur le Panel : là, on a sorti un gros rapport, on est maintenant en train de relancer le Panel plus dans la transdisciplinarité.  Donc on recherche des collaborations avec des acteurs, et donc je suis très content de voir des initiatives comme celle-ci voir le jour, avec justement cette idée de faire participer des chercheurs, des acteurs, et de construire des choses ensemble. Donc c’est exactement l’état d’esprit dans lequel on  veut relancer notre Panel. J’espère qu’on aura l’occasion de faire des choses ensemble, parce qu’au lieu de faire un gros rapport à nouveau, on veut faire des choses beaucoup plus ciblées et donc une coalition ou un groupe comme comme celui-ci peut proposer des choses qui pourraient être publiées, ou disséminées, ou recevoir la publicité par notre Panel. On va essayer de construire une plateforme pour rassembler toutes les bonnes initiatives.

Alors s’il me reste encore une minute – une seule -, je dis un mot sur un type de recherche que j’essaie de creuser un peu plus maintenant : c’est les formes concrètes de la démocratie dans l’entreprise. Il y a beaucoup de formes qui sont d’ailleurs représentées ici, coopératives et autres entreprises à mission, et cetera. Et en fait, c’est une question difficile parce que si on dit : « il faut de la démocratie », ça peut conduire à des choses qui sont pas forcément un succès.

Ça ne suffit pas de vouloir être démocratique, il faut être un peu plus précis sur la façon de la mettre en en œuvre. Et donc je creuse un peu l’idée de l’approche par les parties prenantes, et comment on peut lui donner un corps vraiment rigoureux. Et il me semble qu’on peut y arriver. Ça débouche sur une idée finalement assez simple, qui est que si on définit bien l’objectif de l’entreprise – qui peut être une mission sociale ou une mission de créer du revenu pour l’ensemble des parties prenantes, enfin ça peut être assez varié – on peut repartir de cet objectif pour définir des bonnes gestions ou des bonnes règles de gestion de l’entreprise.

Et alors le rôle spécial des parties prenantes qui sont impliquées dans la décision, donc dans la démocratie dans l’entreprise, est alors de vérifier la conformité des décisions à ces bonnes règles de gestion plutôt qu’à simplement se mettre autour de la table, et puis chacun défend son intérêt, sans aucun guide a priori.

Donc voilà, c’est un un type de réflexion que j’essaie de mener maintenant. Merci.

 

Jeanne Cartillier  18:40

– Merci. Bonjour ou Rebonjour, donc Jeanne Cartillier, moi je travaille dans une petite SCIC aussi, comme TéléCoop, mais une toute petite SCIC de conseil et d’accompagnement qui s’appelle Resiliences.

Quelques mots sur la question de la démocratie dans l’entreprise. Je viens en fait du monde de la démocratie participative, ce vaste univers. J’ai passé 10 ans de ma vie professionnelle à travailler sur ces questions démocratiques dans l’espace public et dans le champ politique. Et je suis venue assez naturellement à déplacer la focale sur l’intérieur des organisations, pas seulement l’entreprise, aussi l’intérieur de nos organisations associatives, de nos organisations publiques, sur les conditions de production d’actions. C’est ça qui me meut, c’est à dire pas seulement la finalité de nos actions, mais les conditions de sa production.

Dire aussi que, comme je pense mes mes collègues à cette table, ce qui nous anime à Resiliences, c’est à la fois la réflexion, la veille scientifique, et cetera. On a la chance d’avoir dans dans l’équipe de consultants, une facilitateure, une consultante chercheur, Mathilde, qui est docteure en psychologie sociale. Donc, on s’interroge en continu en même temps qu’on pratique, qu’on expérimente, et qu’on expérimente avec nos clients et partenaires sur ce que ça produit, les conditions, et cetera, à réunir. C’est vraiment des dimensions importantes pour nous, d’où l’intérêt fort qu’on a à participer à l’Agora DODÈS.

Et de dire que le fond de ce qui de ce qui nous anime, et qui me semble être au cœur de du sujet qu’on explore aujourd’hui grâce à Corentin, c’est la c’est la question de comment on redonne confiance dans la capacité d’action collective. Nous, on pense que l’entreprise, ou l’organisation – si vous me permettez d’élargir un peu au-delà du statut d’entreprise – c’est un espace dans lequel dans lequel on peut se confronter à l’altérité, arriver à surmonter des divergences, prendre des décisions en commun et que cette expérience-là vécue, elle donne confiance dans la capacité d’action collective.

Nous, on a coutume de dire à Resiliences : trouver le bon curseur entre l’impuissance et la toute puissance, accompagner les individus et les collectifs à ne pas se sentir impuissants face à des contraintes exogènes, et cetera, et pas non plus dans la toute puissance qui implique de ne pas dialoguer, de ne pas trouver des compromis et donc c’est trouver ce chemin-là. Donc on a la chance de l’expérimenter tous les jours avec une diversité de clients.

Et puis, il y a plein d’exemples que j’aimerais donner, mais en tout cas moi un qui me tient à cœur c’est la question du partage de la valeur. Je crois qu’on a un bel atelier cet après-midi sur les politiques de rémunération, et cetera. Pour nous, c’est l’archétype d’un sujet sur lequel expérimenter la capacité dans un collectif de travail à parler de l’argent, à parler de la valeur de l’argent et à requestionner des schémas, enfin je pense – j’ai un spécialiste de la justice sociale et salariale sans doute aussi à mes côtés -c’est enfin être en capacité de le faire dans un collectif de travail, et bien du coup, c’est aussi être en capacité de questionner des schémas établis dans notre société plus largement.

 

Corentin Gombert  21:45

– Merci beaucoup, merci beaucoup. On voit à travers vos différentes présentations que vous interrogez chacun à votre manière le fait qu’il y a différentes sphères, qui aujourd’hui semblent s’entrecroiser. Du moins c’est comme ça que je le vois, c’est à dire qu’aujourd’hui plus qu’hier – par rapport à avant-hier, c’est encore autre chose – mais on a d’un côté la sphère de l’entreprise, de l’autre côté la sphère politique, on a la société en général… Aujourd’hui, il ressort d’une part que l’entreprise apparaît de plus en plus comme un acteur politique, et non plus seulement la grande entreprise, mais juste l’entreprise, et ce qui interroge beaucoup le rôle du travailleur et le rôle du travailleur citoyen.

Et je voulais savoir… sur ce temps je vous propose, je vous pose des questions, et celui ou ceux qui veulent répondre peuvent répondre, et ne vous sentez pas forcément obligé : en quoi vous voyez l’entreprise comme un acteur politique, et en quoi cette cette tendance qu’on semble cerner en ce moment témoigne t-elle d’un désir de réappropriation de l’économie et de l’appareil productif par les citoyens ? Donc pour les 2 mouvements : entreprise-société, société-entreprise.

 

Marion Graeffly  23:31

– Je démarre… je vais faire plein d’erreurs sur les termes. Enfin, je suis, comme tu le disais bien, pratiquante plutôt que théoricienne. Donc, je ne vais pas le dire bien, mais en fait : moi, ce que je vois, ce que j’expérimente au quotidien, c’est les gens avec qui j’ai monté TéléCoop, parce qu’on est plein de citoyens à s’être rassemblés. Il se trouve que moi, finalement, je suis la directrice générale, mais au sein de la structure, il y a plein d’autres d’autres rôles importants à jouer.

Moi, ce que j’ai beaucoup senti et d’ailleurs beaucoup, même, de surprises en fait, dans le fait qu’on pouvait faire les choses comme ça, et en même temps au fur et à mesure du temps, un attachement à la façon dont on le fait. Je le vois comme ça, c’est à dire que je pense que oui il y a un mouvement… alors je pense que le mouvement de fond, il n’est peut-être pas si fort encore, j’ai l’impression quand même qu’aujourd’hui nos initiatives sont assez, on va dire, exemplaires, mais il y en a quelques-unes qui se battent en duel, malheureusement encore à la surface de notre planète.

Malgré tout, je trouve que c’est hyper intéressant de voir finalement l’attachement que les salariés qui ne sont pas arrivés au début de l’aventure  trouvent dans ce qu’on fait. J’ai un exemple : ce matin, je ne suis pas là, au bureau, et tant mieux parce qu’il y a l’élection dans notre conseil d’administration du représentant ou représentante des salariés, et je trouve ça bien, en fait, que je ne sois plus là. En fait, c’est quelque chose qui a été organisé par quelqu’un d’autre que moi, et parce qu’ils ont dit : « Bah voilà en fait il faut qu’on s’organise parce que l’AG va être bientôt, et ben OK pas de problème ». Enfin voilà. Donc il y a ce truc-là qui, je trouve, est assez beau, c’est qu’au début ce type d’organisation et ce type de gouvernance partagée, en fait elle compte sur la volonté de quelques-uns, on ne va pas se mentir, il faut quand même qu’il y en ait quelques-uns qui se lancent au début, c’est pas quelque chose qui est inné, populaire, compréhensible par tous. Donc, il y en a quelques-uns qui se lancent, et puis il y a un moment quand même où d’autres s’en emparent, et moi, c’est ce que je suis en train de vivre ce matin, alors je suis là, du coup c’est très bien.

C’est quelque chose que je vois, c’est qu’une fois que les gens ont touché à ce que ça peut être, une fois qu’ils ont goûté à ce que ça peut être, il y a un engouement. Il y a un engouement certain, et ça, c’est assez beau de le voir.  J’ai bien aimé ce que tu disais aussi, Jeanne, dans la question de la prise de confiance.

Je trouve qu’il y a un point qui est absolument essentiel là-dedans, c’est qu’on a quand même la possibilité de donner confiance à d’autres de pouvoir se lancer. Donc moi, je le je le vis, je l’expérimente en tout cas, au quotidien, et c’est plutôt une bonne chose.

Il y a un autre exemple sur le partage de la valeur – je ne pourrai pas être là cet après-midi – qui m’a marquée dans le même sens, c’est qu’enfin nous,  aujourd’hui, on ne dégage pas encore de bénéfice, donc on n’a pas la notion de pouvoir peut se répartir les bénéfices, et cetera, dans le cadre d’une assemblée générale. Mais quand même, on essaie de bien rémunérer le travail parce que c’est important, c’est des gens qui s’engagent au quotidien depuis 3 ans, je peux vous dire que pour monter un opérateur télécom on n’a pas chômé. Il fallait quand même qu’on puisse remercier ça. Et donc on a décidé de mettre en place des primes. Et en fait, ces primes, c’est pas moi qui décide comment je les donne à untel ou untel, lors d’un entretien de fin d’année. On a pris une décision collective, on a dit : « Bah voilà, il y a tant et tant d’argent qu’on peut se redistribuer, comment est-ce qu’on fait ? ». Et les critères ont été définis de manière collective.

C’est juste des exemples pour moi qui ai travaillé dans une grande entreprise agroalimentaire pendant des années, hein, donc je n’ai pas du tout expérimenté ça avant.

En fait c’est ça que je trouve très beau. C’est le moment où effectivement on met la possibilité au milieu de la table, et par contre on laisse les gens s’en saisir. Enfin je pense qu’il y a ça aussi, cette notion de de leadership qui doit être revu. Ça a été beaucoup poussé dans ma ma carrière précédente, de dire : « Bah le voilà, le leadership, c’est quelqu’un qui se pose devant, et puis qui embarque tout le monde, mais par contre il doit lancer les choses. » C’était vraiment une idée très très poussée à l’époque. Et bien là, en fait, le vrai leadership, c’est de lâcher prise. Et dans nos organisations, je trouve on le vit beaucoup en fait, et justement quand on arrive à le vivre… enfin moi, je trouve que c’est quelque chose qui est assez fantastique. Donc voilà. Donc je vous parle d’un d’un exemple. Mais moi c’est comme ça que je vois cet engouement, en tout cas pour ce qu’on fait et la façon dont on le fait.

 

Guillaume Desnoës  27:58

– Ta question évoquait deux signaux faibles que je perçois, et qui sont pas si faibles que ça dans mon secteur. Vous avez tous suivi l’affaire Orpéa ? Alors c’est quand même bluffant de voir qu’une entreprise peut perdre 70 % de sa valeur en bourse en deux jours, parce qu’elle ne répond pas aux attentes de la société en fait. C’est à dire qu’il n’y avait pas à l’époque, il n’y avait aucun sujet sur le modèle économique. Le livre en soi n’attaquait pas le modèle économique de l’entreprise, mais les actionnaires. Je sais pas si c’est par leur conscience citoyenne, mais ils sont devenus d’un seul coup les ambassadeurs d’un clivage social sur le fait de dire : « Mais là en fait l’entreprise ne répond pas aux besoins de la société, donc il faut faire quelque chose. »

Et ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas la fin de l’histoire, mais la suite de l’histoire. Il y a eu pas mal de choses, comme la Caisse des dépôts qui reprend le contrôle sur une entreprise qui avait été privatisée. Et une autre chose qui a été très peu commentée pour l’instant : l’Assemblée nationale a voté un amendement qui oblige maintenant toutes les structures qui gèrent des EHPAD, qui sont privées, à but lucratif, à utiliser le cadre de la société à mission pour se mettre au service de toutes leurs parties prenantes. Je ne prétends pas, évidemment, que ça résoudra pas tous les problèmes hein. C’est un cadre de transformation qui, en complément de plein d’autres choses, permet d’avancer.

Mais il y a cette logique, et pour en avoir parlé avec les députés qu’ont mis cet amendement sur la table, ce qu’ils disaient, c’est qu’en fait on a un besoin de moralisation. C’est le terme qu’ils employaient à propos des acteurs économiques dans ce secteur, parce qu’en fait, il y a plein de choses qui ont été mal faites chez Orpéa. Certaines illégales, mais d’autres n’étaient pas illégales. Comment on fait ces choses qui sont pas illégales pour redonner de la responsabilité ? [Il faut] recréer un cadre juridique qui recrée de la responsabilité, de l’éthique dans la gestion.

Donc moi, j’interprète ces signaux faibles dans ce secteur comme une reprise en main du politique sur un champ qu’on a eu besoin de privatiser pour répondre en masse aux besoins, de donner une place au privé lucratif. Mais on a besoin quelque part de le re-responsabiliser.

Un autre exemple qui n’a rien à voir, mais qui… parce que je pense que ce qui est peut être rageant, c’est de voir que les entreprises bougent beaucoup, mais sur des sujets qui ont un une capacité à mobiliser l’opinion de manière émotionnelle. Là où les vieux sujets de conquête plutôt sociale,  de redonner du pouvoir aux gens qui travaillent, de réfléchir sur le cadre, vraiment, la manière dont on travaille… Bah ce n’est pas des sujets forcément qui créent des buzz émotionnels dans les médias, et donc ça avance peut-être moins vite, et les salariés, aujourd’hui, sur ces sujets, ont du mal à à utiliser le pouvoir qu’ils ont.

Et moi, ce qui m’a frappé… un exemple encore une fois qui est un peu décalé mais c’est un ami qui dirigeait une startup aux États-Unis pendant le mouvement Black Lives Matter dont vous vous souvenez sans doute. Lui était plutôt de culture française, universaliste, et il s’était mis à mettre sur son entreprise plein de trucs en soutien à cette cause qui était une cause de soutien à une communauté. Et je l’avais interrogé. Il m’avait dit : « En fait, je l’ai fait pour une seule raison, c’est que si je ne le faisais pas, les trois quarts de mes salariés ne venaient plus au boulot, ils partaient, et voilà. »

Donc dans un univers où il y avait à l’époque une guerre des talents, comme on dit, et bien on se rend compte qu’il y a un pouvoir énorme de certains employés qui sont devenus des « ressources rares ». Et donc là je trouve que la question démocratique dans l’entreprise, c’est comment, sur d’autres causes – celles-là ou d’autres d’ailleurs, y compris des causes sociales et environnementales – comment les salariés utilisent le pouvoir qu’ils ont ? Parce qu’en fait le paradoxe, c’est qu’on dit que le pouvoir est pyramidale, que les dirigeants/dirigeantes ont un pouvoir énorme, mais en réalité, si leurs salariés-clés se réunissent et disent « Voilà les conditions pour qu’on reste dans l’entreprise. », ils sont quasiment obligés d’accepter.

Marc Fleurbaey  31:39

– Alors je vais être bref. Mais je voulais effectivement dire que l’expression « travailleur citoyen » m’évoque deux choses.

Si on regarde le spectre des des entreprises selon leurs différents objectifs, il y a celles qui s’intéressent seulement au revenu – parlons du revenu pour les parties prenantes, pas seulement pour les actionnaires – mais c’est un peu un extrême du spectre. L’autre extrême, c’est celle qui se donne une mission sociale ou environnementale beaucoup plus générale qui va au-delà des parties prenantes directes. Et je dirais au milieu, il y a un problème auquel toute entreprise doit se confronter, qu’elle ne peut pas éviter. C’est le problème des externalités, c’est à dire les conséquences de l’activité de l’entreprise sur les personnes qui ne sont pas directement des parties prenantes, par exemple les générations futures, les autres espèces par le biais des problèmes environnementaux, ou même des externalités sociales par le biais des activités dérivées.

Enfin, il y a toutes ces choses-là, et pour évaluer l’importance de ces externalités, c’est impossible de ne pas passer par une réflexion morale : quelle est l’importance de ses conséquences ? Quel type de valeur on va lui donner en comparaison de la valeur économique que l’entreprise regarde dans ses comptes ? Donc en quelque sorte, toute entreprise, qu’elle le veuille ou non, se retrouve aux prises avec des questions morales, donc des questions politiques qui font d’elle un un acteur, au fond, de la définition du bien social, plus général.

Le deuxième point que je voulais évoquer, c’est juste une une observation empirique qui a été faite dans la littérature de façon assez répétée, c’est que les entreprises démocratiques sont des écoles de l’ethos démocratique pour tous leurs participants. Ce sont des gens qui, après, s’engagent davantage dans les associations, dans les quartiers, dans la vie politique, et cetera. Donc c’est vraiment quelque chose d’important.

Et l’autre, l’exemple extrême inverse, c’est les entrepreneurs qui deviennent des politiciens – l’exemple extrême, c’est Donald Trump – ne sont pas des vrais démocrates, hein, c’est clair, parce qu’ils ont un ethos qui vient de l’autoritarisme qu’ils ont pratiqué dans leur entreprise.

 

Jeanne Cartillier  33:40

– Ah, je souscris complètement à cette dernière idée importante. J’avais justement aussi envie de mettre un tout petit pavé dans la mare, là tout de suite, sur l’entreprise comme outil politique, mais aussi du caractère déceptif qu’il peut y avoir. Moi je trouve que c’est tout aussi important de parler de ça que de l’aspiration.

C’est par rapport à ce que tu disais Marion tout à l’heure, il y a l’aspiration, il y a les les bons exemples, et il y a aussi les cas où on n’y arrive pas. Et nous, un écueil auquel on est confronté vraiment au quotidien, dans nos accompagnements, c’est l’envie du tout participatif. Enfin, la confusion qu’il peut y avoir entre démocratie interne et ça : on est tous là, tout le temps, à décider de tout.

Là je pense qu’entre nous, on est convaincu que c’est pas comme ça que ça marche, néanmoins, dans les aventures collectives et dans les envies de transformer une entreprise ou de faire, il y a souvent cette étape-là. Et malheureusement, parfois elle fait achopper le projet. Elle a une dimension tellement déceptive que pour le coup c’est à contre-courant de l’ethos démocratique là dont tu parlais à l’instant. C’est que du coup ça crée des expériences du genre : « Bon bah, moi maintenant, je veux reprendre un boulot où on me demande… je rentrerai à nouveau dans le système pyramidal, commande contrôle, on me dit ce que j’ai à faire, parce qu’au moins je n’ai pas la déception de m’être engagée, et qu’en fait on y ait passé beaucoup de temps, et qu’on se soit planté et cetera. »

Et du coup, par rapport à ça, moi j’aimerais en tout cas dans la journée d’aujourd’hui, qu’on parle du comment, parce qu’en effet il y a l’aspiration, le pourquoi on le fait, et dans le comment, le diable est dans les détails, et c’est là qu’il y a besoin en tout cas de processus, de méthodes… ça ne veut pas dire être tous ensemble autour de la table tout le temps. Il y a plein d’autres façons de de faire, on a tous et toutes des pratiques là-dessus à partager.

Mais je trouve important de se le dire parce qu’une fois de plus, c’est dommage de faire avancer une cause – même si j’ai un peu du mal à se dire que c’est une cause – mais en tout cas, des convictions qu’on porte tous et toutes en se disant que des expériences malheureuses pourraient finalement venir contrecarrer ce mouvement de fond auquel on aspire.

Et par ailleurs, rappeler aussi que le statut n’est pas vertu parce qu’on n’arrête pas de se dire coopérative, entreprise à mission, et cetera. Enfin, on le sait tous, c’est dans les pratiques qu’on expérimente, y compris dans le fait d’arriver à surmonter des moments de blocage, et cetera. C’est bien dans la pratique et je pense que, TéléCoop, vous devez avoir plein d’expériences aussi là-dessus sur un endroit où on se plante collectivement, mais on arrive, par de la régulation collective et une prise de décision, à bifurquer. C’est dans la pratique qu’on expérimente ça.

 

Corentin Gombert  36:14

– Merci beaucoup. Je vous propose d’essayer d’approfondir un tout petit peu avant de laisser du temps pour la salle. Je pense que c’est un temps qui est incompressible, celui-ci, c’est important.

Comme Jeanne, tu as le micro, je te propose juste d’explorer un petit peu cette question : tu parlais des pratiques, et on parlait juste avant des travailleurs citoyens. Et tu as peut-être lu l’ouvrage sur la citoyenneté économique qui est sorti en en 2022 ? Tous les auteurs de l’ouvrage semblent s’aligner sur une idée qui est que : être citoyen dans l’entreprise rendrait de meilleurs citoyens dans la société. Et je voulais savoir si toi, à travers tes pratiques d’accompagnement, tu travailles notamment sur les responsabilités à la gouvernance et au pouvoir, si tu observais des effets transformateurs sur le travailleur citoyen.

 

Jeanne Cartillier  37:21

– Waouh, la question est vaste et belle. En tout cas, je vais vous partager des expériences et des observations. Je n’aurais pas la prétention de dire que j’ai vu des effets transformateurs de travailleurs citoyens, parce qu’évidemment c’est complexe et heureusement qu’on est pétri de, plein, plein d’influences.

Mais je pense que ça fait vraiment écho à ce que tu disais à l’instant, là sur l’ethos démocratiques. Moi j’avais envie de citer deux exemples de processus qui transforment les individus qui passent au travers, et donc j’ai pu observer ces transformations-là et je pense du coup dans le continuum de citoyenneté dont on parle, c’est à dire s’investir ensuite dans son quartier, dans une association, ou politiquement, ça parle dans ce sens-là.

Le premier, c’est la question de comment on fait émerger des profils… enfin, la question du leadership : comment on fait émerger des profils de façon un peu différente que par nos systèmes classiques, de vote anonyme ou de « Je prends le lead parce que j’ai toutes les caractéristiques ou compétences pour prendre le lead. »

Vous avez peut-être entendu parler des processus d’élections sans candidats, je ne sais pas si ça parle ici dans la pièce. C’est des processus issus de la Sociocratie.

Pour en dire quelques mots sur deux expériences d’élections sans candidats qu’on a accompagnées : donc le principe c’est qu’un collectif se met d’accord sur un mandat, sur tel sujet : de quel mandat s’agit il ? Quelles sont les missions à remplir ? Et ensuite se positionne individuellement chacun pour telle personne qui n’a pas été candidate, qui n’a pas formulé de vœux d’être candidate, en argumentant son choix. Et ensuite c’est tout un processus d’intelligence collective un peu long, que je j’expliquerai pas ici.

Moi, j’ai eu la chance d’accompagner deux processus d’élection sans candidats : pour des représentants du personnel dans une PME d’une part, et pour des futurs cogérants d’une entreprise reprise par les salariés, transformée en SCOP et qui prend la suite d’un fondateur qui l’a dirigée pendant 30 ans d’autre part. Ce qui se joue dans ces moments de forte légitimation par le collectif – de marque de reconnaissance, de faire émerger des profils qui ne se seraient pas lancés, et cetera – laissent des traces assez fortes qui sont exprimées par les participants à l’issue, et des envies, même, j’ai envie de dire… je veux pas vérifier dans leur vie, mais j’ai envie de dire : « Mais c’est comme ça qu’il faut qu’on fasse élire les délégués de classe dans les écoles de mes enfants ! », « C’est comme ça qu’il faut qu’on travaille dans mon association pour faire émerger d’autres profils ! », et cetera. Enfin, une fois de plus, je vais rapidement, mais en tout cas, ça transforme un rapport à la question du pouvoir ou de la représentation de l’entreprise.

Et puis peut-être un un deuxième exemple aussi qui me tient à cœur, c’est la question de comment on travaille des signes de reconnaissance dans une organisation.

Là aussi, bon, en France on est quand même vraiment particulièrement mauvais. On part de très très loin sur la question des signes de reconnaissance et je parle pas des techniques très superficielles de feedback, qui sont plutôt des outils de marketing, mais je parle bien d’organiser la capacité à, régulièrement et pas juste lors d’entretien annuel,  exprimer la reconnaissance conditionnelle : donc des signes de reconnaissance : « Quand tu as fait ça, ça m’a permis de faire ça, j’ai ressenti ça, et cetera. » Et l’inverse, que ce soit positif ou négatif, cela  permet aux collaborateurs, aux salariés, aux travailleurs de s’améliorer dans la continuité.

De la même façon, j’ai eu la chance d’accompagner des entreprise dans lesquelles on partait d’une culture où c’était vraiment : « Tant que je dis rien, c’est que tout va bien. », à une culture où les uns et les autres se sont mis à expérimenter ces espaces de de dialogue, de discussion, en fin de projet, en fin de semaine, et cetera, de l’un à l’autre, et de voir le développement exponentiel des compétences relationnelles, voilà on le dit comme ça, et de l’impact que ça avait, là aussi , à la fois dans la confiance en soi des individus, mais aussi la prise de conscience de ce que ça peut permettre dans d’autres espaces de la vie sociale et politique. C’est deux petits exemples, mais qui me semblent pouvoir illustrer ce propos.

 

Guillaume Desnoës  41:43

– Je veux juste appuyer ce propos, parce que moi, dans mon entreprise, Alenvi, on forme les auxiliaires de vie. Et on le fait aussi dans des dizaines d’autres structures associatives ou ou privées d’aide à domicile. On forme d’une part au soft skills, donc la communication non violente, la gestion du du feedback par exemple, mais aussi à des formes de prise de décision. On a quelque chose qui s’appelle le SDMI [Solution Driven Method of Intercation], qui est l’idée de prendre des décisions très vite orientées solution, avec une recherche de consensus, avec des questions du type : « Est-ce que tu peux vivre avec cette décision ? »,  qui permettent d’arriver très vite sur des consensus, et d’être dans l’action.

Et ce que j’observe, évidemment pas uniquement chez nous, c’est que globalement les entreprises qui creusent ces nouveaux modes de prise de décision sont très en avance sur l’action publique. Et on dit toujours en France qu’on a une culture du conflit, qu’on ne sait pas faire de consensus… C’est vraiment la tarte à la crème qu’on nous sert en permanence. Mais en fait, on se rend compte que si on fixe ça comme objectif à l’échelle d’une organisation, on arrive l’implémenter. Et en fait, ça fait du bien, les décisions qui sont jugées bonnes par tout le monde, ben en fait, ça fait du bien à tout le monde. Et donc je pense qu’il y a beaucoup de travail. Il y a un travail culturel pour propager ça, déjà dans le monde de l’entreprise plus largement, mais ensuite au monde politique.

 

Corentin Gombert  42:55

– Et au niveau de l’entreprise à mission, est-ce que tu observes quelques effets sur les différentes parties prenantes ? Parce qu’on est très sur entreprise qui influence sur la société, mais au niveau des parties prenantes, et notamment les salariés ?

 

Guillaume Desnoës  43:10

– Alors oui, maintenant dire que dans la société à mission, il y a une ambition dans le texte qui est du même ordre que la coopérative avec le pouvoir – un homme, une voix – ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, c’est principalement remettre l’entreprise au service d’une mission, et changer derrière toutes ces normes de gestion.

Mais dans les faits, forcément les rapports de légitimité changent si vraiment il y a une démarche sincère autour de la mission, parce que le capital de l’entreprise… l’entreprise, elle n’appartient à personne, mais le capital de l’entreprise, il appartient juridiquement à certaines personnes. La mission, elle est possédée par personne et généralement les gens qui sont au plus proche des activités de l’entreprise sont tout aussi légitimes que ceux qui sont dans les bureaux à faire des reportings ou des slides. Donc ça c’est la théorie.

Maintenant en pratique, ce qu’on observe, c’est le dialogue social qui parfois s’empare de ce sujet. Vous avez notamment la CFDT qui est très impliquée sur la société à mission, et on voit des des grandes entreprises qui réclament parfois de devenir société à mission, ou qui discutent des objectifs. On voit des comités de mission où où il y a des parties prenantes réunies. Alors aujourd’hui, on pourrait dire ils n’ont pas encore assez de pouvoir dans la gouvernance de l’entreprise, mais c’est quand même un début.

Voilà, moi, dans mon secteur, j’observe maintenant, la plupart des grands groupes sont des sociétés à mission, réunissent des comités dans lesquels il y a des salariés, des familles, et il y a un exercice déjà de transparence qui est très important, où ils sont obligés de communiquer des chiffres, de se fixer des objectifs d’impact. Donc c’est le début d’une transformation. Encore une fois, la société à mission n’est pas un brevet de vertu, c’est un cadre de transformation.

On en est aux débuts, aujourd’hui la société à mission, c’est deux paragraphes dans la loi, peut-être que dans 20 ans ça sera beaucoup plus, et qu’en fait, ça aurait été le début d’une – ce que je disais tout à l’heure – une réappropriation du cadre de l’action collective au service de plus d’intérêt général. Mais voilà, aujourd’hui il n’y a pas d’exemple d’une entreprise qui, du jour au lendemain, en devenant société à mission, a complètement donné le pouvoir à ses salariés.

Mais ma conviction, encore une fois, c’est que la société à mission, c’est le début d’une mise à jour. Moi, j’ai l’impression que pour entreprendre jusqu’à présent, ben les gens qui entreprennent avec le cadre de la société SAS classique, ils utilisent… C’est très paradoxal, parce qu’on a une injonction à l’innovation permanente quand on est dans l’entrepreneuriat, mais on utilise des cadres juridiques en l’occurrence qui pourraient être compris par un juriste du XIXe siècle. Le cadre comptable n’en parlons pas, il pourrait être compris par un comptable du XVIe siècle. Donc on innove dans l’objet, mais on n’innove pas la matrice qui sert à innover.

Donc là, je pense que déjà si on reprend le fil de de la recherche d’ innovation, c’est déjà une bonne chose, et ça va, j’espère, nous emmener le plus loin possible. Il faut y compris ouvrir le sujet, par exemple, de la représentation des salariés dans les conseils d’administration. En France, on est en retard par rapport à d’autres pays, et naturellement, c’est des choses qui doivent venir en parallèle de la généralisation, j’espère, de la société à mission.

 

Corentin Gombert  46:02

– Je pense que ça rejoint ce que disait Marc tout à l’heure, et notamment, tu l’as évoqué en te présentant un peu, le Panel international sur le progrès social. Dans ce que j’ai lu – je n’ai pas lu les trois tomes du premier rapport – le rapport faisait état d’un profond déséquilibre qui s’accentuait, et d’un besoin croissant d’innovation sociale, c’est ce dont dont parlait Guillaume justement à l’instant.

Est-ce que tu pourrais caractériser un petit peu, en deux mots – parce qu’il reste peu de temps pour la salle – ce déséquilibre ? Et en quoi la démocratisation des organisations apparaît au cœur de ces problématiques aujourd’hui ?

 

Marc Fleurbaey  47:03

J’imagine que ce que tu as en tête, c’est le fait qu’on on fait face vraiment à une époque, disons, un peu critique pour l’humanité dans son ensemble, avec le défi environnemental, mais aussi le défi de la cohésion sociale, des inégalités qui s’accroissent de différentes façons à l’intérieur des pays, mais aussi des pays qui sont vraiment largués dans le développement, et qui, on ne voit pas comment ils vont rattraper les autres. Et donc, ça crée des inégalités mondiales qui sont terribles. Des problèmes liés aux aux nouvelles technologies, et notamment l’intelligence artificielle qui crée beaucoup d’inconnues, et là, qui posent des problèmes de gouvernance essentiels.

Et enfin donc effectivement, un défi de gouvernance qu’on retrouve à plein de niveaux. Donc il y a un défi de gouvernance dans les organisations privées, comme les entreprises. Il y a un défi de gouvernance au niveau de la démocratie nationale dans pas mal de pays où ça dérive, et on va de plus en plus vers quelque chose qui ressemble à du fascisme, enfin, il y a une sorte de mouvement fasciste international qui relève la tête, là. Et puis le problème de gouvernance dans le multilatéralisme, dans la coopération globale, tout ça se tient.

Alors effectivement, le problème, c’est qu’on a un écheveau de défis, là, et tout se tient. Il y a des boucles, des cercles vicieux entre ces différentes choses. L’aggravation du stress environnemental pose des problèmes de conflits qui détruisent la gouvernance, et qui déstabilisent la cohésion sociale, et cetera. Donc tout se tient.

Mais quand même, on peut penser que prendre les choses par le biais de réforme de la gouvernance, c’est peut-être le plus prometteur. Et donc comme un certain nombre de ces problèmes, et notamment les inégalités et la destruction de l’environnement, sont quand même très largement le fruit de l’activité économique des entreprises capitalistes classiques… voilà, là, il y a un chantier énorme. Et donc changer la gouvernance, changer leur mission, leur objectif, changer la participation même sans changer leur mission, déjà changer la gouvernance au sens de la participation des parties prenantes…

Parce que quand on a une concentration des intérêts financiers énormes dans quelques actionnaires, évidemment ces gens-là, quand ils mettent en balance une destruction de l’environnement et leurs intérêts concentrés, le choix est vite fait pour eux. Alors que si c’est dilué par de multiples parties prenantes qui ont des intérêts financiers moins importants, moins concentrés, mais qui sont tous soucieux de, par exemple, l’environnement ou les conséquences sociales, les décisions sont différentes même si la mission de l’entreprise n’a pas été redéfinie.

Donc, voilà, c’est un chantier. Effectivement, la gouvernance, c’est sans doute le chantier fondamental, et notamment la gouvernance dans l’entreprise, mais pas seulement hein, on a vraiment la démocratie en danger partout, maintenant.

 

Corentin Gombert  49:35

Merci beaucoup, on va passer la parole à la salle, et je vais juste poser une dernière question à Marion pour introduire cette parole à la salle.

C’est par rapport aux Licoornes : vous affichez clairement, tu l’as redit, une ambition de changer le monde, et je voulais savoir en quoi vous arrivez à générer des espaces pour que les salariés aient le pouvoir de changer le monde. Donc des espaces de réflexion, d’ébullition, comme l’Onde de Coop notamment, pour réinventer le monde. Et je vais te demander de répondre très rapidement, et je donne le micro à la salle.

 

Marion Graeffly  50:14

– Ben effectivement, l’exemple que tu as donné Corentin, c’est un bon exemple. Donc dans la coalition des Licoornes, notre objectif c’est effectivement de pouvoir donner la liberté aux gens de penser, de repenser leur rapport au travail. Et donc on organise maintenant, chaque année, un événement qui s’appelle l’Onde de Coop.

Et cette année, c’était justement lié au défi du travail, c’est à dire qu’est-ce qu’on donne concrètement comme objectif au travail en fait, comment est-ce qu’on s’organise pour que ce soit pas juste « du travail » justement ? Enfin, on a beaucoup réfléchi à ça et c’est ce type-là de choses qu’on essaie de tester.

Bien sûr qu’on essaie de co-construire, pas seulement avec les gens de nos coopératives, ça c’est important aussi. C’est à dire qu’aujourd’hui, on a un petit mouvement de citoyens, on a un petit mouvement d’entreprises, donc tout l’enjeu, c’est de pouvoir irradier partout dans l’économie, et que d’autres que nous s’en emparent. Voilà ce type de moment-là, c’est effectivement fait pour ça, puisqu’on est une entreprise, enfin nous sommes des entreprises qui sont politiques par essence, parce qu’enfin pour moi, politique – polis hein – c’est vraiment le fait de pouvoir recréer des cercles de discussion, des cercles de conversation, de débat, et typiquement ce type d’événement en fait partie.

Donc je vous propose de nous rejoindre, ce sera le 12 septembre prochain donc n’hésitez pas à nous rejoindre. On a fait un bel événement l’année dernière, justement, et ça avait permis de repousser un peu les frontières de ce que c’est que le travail classique, donc c’était pour ça hyper inspirant.

Corentin Gombert  51:46

– Merci beaucoup, est-ce qu’il y a des questions dans l’assemblée ?

 

Public  51:54

– Merci. Une remarque peut-être, et une question. Ce que je remarque c’est, en fait, les mouvements contradictoires auxquels nous sommes confrontés finalement. Parce qu’il y a à la fois cette aspiration et ces expériences pour essayer de démocratiser l’entreprise, et un hyper pouvoir, même  un abus de pouvoir des plus grandes entreprises.

L’exemple qui était cité dans un article il y a quelques temps, c’était à Chicago : Amazon qui ne veut pas contribuer économiquement à une taxe que la collectivité voulait relever pour une politique en faveur des SDF, donc il se met en contre de cette politique. Et une fois cette initiative abandonnée, il propose son propre système d’action auprès des SDF.  Donc, on voit bien que là ce n’est pas la politique qui réinflue sur l’entreprise, c’est l’entreprise qui se substitue à une décision politique d’une certaine manière.

Donc, on voit bien cette contradiction, y compris au niveau des organisations, des personnes… des fois cette lassitude finalement démocratique qui fait abandonner, ou qui donne une fascination pour l’autocrate ou pour le charisme. Et même les organisations de l’ESS ne sont pas à l’abri de ces revirements.

La question, c’est plus finalement, ce qui émerge, à mon avis comme une interrogation, c’est le rôle effectivement… au-delà du fait qu’on peut dire « statut ne fait pas vertu », malgré tout, est-ce qu’il y a une limite à une démarche de démocratisation dans une entreprise où la propriété n’est pas collective en fait, et où les statuts ne garantissent pas que les parties prenantes puissent avoir un droit d’expression ou de vote équilibré ? C’est vraiment une question parce que j’ai pu travailler beaucoup avec des SCOP et des coopératives de tailles différentes, mais aussi avec des entreprises classiques, dont les dirigeants, les dirigeants avaient vraiment une envie de participation, de partage, y compris de la valeur.

Mais à un moment donné, à partir du moment où l’entreprise peut être un objet de spéculation – c’est un cas très concret, mais je citerai pas les personnes – il y a un groupe qui arrive et qui met des millions sur la table. Bah finalement le contrat qui était passé, qui était uniquement un contrat moral et de pratique entre les différentes parties prenantes et les dirigeants, et bien s’arrête. Et quelquefois, j’ai encore un des dirigeants qui m’envoie des mails tristes parce que son groupe a été repris par un groupe important, puis par un groupe international, et cetera, et il en est malheureux, mais finalement le statut avait permis ou avait d’entrée posé une limite à sa propre influence sur les règles du jeu.

Donc cette promesse qui est faite aux parties prenantes, même si c’est loin d’être parfait, je pense que les statuts mutualistes et coopératifs les avaient malgré tout constitués comme une petite garantie de cette promesse. Et donc ça peut être intéressant même si c’est un débat complexe, de voir quelle est l’influence du statut, malgré tout, sur l’ampleur d’une ambition démocratique, ou participative, ou d’utilité collective. On voit bien aujourd’hui la montée des SCIC, quand même, après un démarrage plus lent, ça se multiplie, ça semble correspondre peut-être à cette envie aussi de garantir, d’une certaine manière, la pérennité d’un engagement de participation des parties prenantes.

 

Marion Graeffly  55:02

– Je peux me permettre de dire deux mots pour démarrer… moi, j’en suis tout à fait persuadée, en fait, qu’on a besoin de statut pour s’assurer que ça tienne dans le temps. Enfin, vous en avez parlé, vous avez donné un exemple très concret. Il y a plein de chefs d’entreprise qui ont cette volonté de partage de la valeur, de la gouvernance, et cetera. Mais le problème, c’est que, en tant que dirigeant, on n’est pas intéressé par ça, même pour son mandat social. Le cas le plus emblématique pour moi, c’était quand même cas de Danone. Il a essayé, Faber, de faire des choses – alors plein de choses tout à fait imparfaites, ce n’est pas la question, on ne va pas rentrer dans ce détail-là – mais son mandat,  c’était de s’assurer, et c’est ce qui est écrit dans la loi, du profit de la société, donc de ce qu’allait pouvoir générer Danone en termes de profit. Donc, à partir du moment où ça, ça n’a été plus rempli au même niveau qu’avant, parce que justement il intégrait des impacts environnementaux et sociétaux, bah il a été remercié.

Donc en fait, pour moi c’est clair. En fait, il y a de toute façon besoin d’un statut. Le statut doit être protecteur de l’action qui est menée par l’entreprise et par les différentes parties prenantes. Moi je le disais tout à l’heure : je suis devenue directrice générale, mais j’espère que je ne le serai pas longtemps, parce que justement tout l’enjeu c’est que d’autres que moi prennent cette place, parce que là on aura vraiment réussi ce truc-là, même si, malgré tout, l’action de Télécoop est protégée par nos statuts, et pour moi, c’est fondamental. Je pense que c’est ça aussi qui fait la grosse différence, et tu en as parlé un petit peu, Guillaume aussi, autour des entreprises à mission et des coopératives.

Et ça n’empêche qu’il y a – et aussi Jeanne en parlait – il y a des écueils, et ça c’est hyper important de les traiter, notamment le statut de SCIC est arrivé aussi parce qu’il y avait des écueils dans le monde SCOP, des coopératives qui était antérieures à celui-là.

Donc c’est bien de continuer à apprendre et de proposer des nouveaux statuts, ce ne sera jamais parfait, mais je pense que le statut de SCIC, quand même, a cet énorme avantage, j’allais dire, du presque multi-contrôle des des différentes parties prenantes. Nous, on a fait ce choix très drastique chez Télécoop, c’est-à-dire que tous les sociétaires, quel que soit leur type d’appartenance à un collège, et cetera, votent sur le principe d’« une personne est égale à une voix », il n’y a pas de pondération, il n’y a rien.

Nous on l’a voulu parce que justement on voulait aller dans cette logique de « contrôle » à tous les niveaux ,et en même temps, de bonne représentation des différentes parties prenantes. Donc, notre conseil d’administration compte plus de salariés, par exemple, que de clients pour ça : pour pouvoir avoir un certain équilibre avec des personnes qui travaillent au quotidien dans notre coopérative.

Donc voilà, le statut, il est ce qu’il est, après il y a aussi ce qu’on en fait derrière, typiquement – je vous en parlais tout à l’heure –  c’est à dire que nous on a fait, chez Télécoop, ce qui n’a pas du tout été le choix de d’autres coopératives, pour d’autres raisons. Moi je crois dur comme fer, pour le coup, au statut comme rempart, même s’il y a plein de choses, après, qu’on peut qu’on peut imaginer et améliorer, clairement.

Guillaume Desnoës  58:07

– Je vais me permettre de défendre un peu l’entreprise non coopérative. Je pense que ce qui fait in fine la capacité des organisations à produire de l’impact positif, à avoir le moins d’externalités négatives possible, c’est évidemment un mélange de plein de choses. Le statut est fondamental, mais vous avez aussi la culture d’entreprise, et ce qu’on pourrait appeler le leadership, même si évidemment il faut imaginer des formes de leadership beaucoup plus participatives, pas dans la recherche de pouvoir, des gens qui prennent les décisions dans l’organisation.

Juste un constat terrain dans mon secteur des EHPAD. On a créé une structure qui forme et accompagne des professionnels dans des dizaines d’EHPAD. Moi, je vois certains EHPAD au format associatif, public ou coopératif, où la question de la répartition de la valeur, des intérêts, elle est en théorie réglée, mais où s’installe une déresponsabilisation très forte qui entraîne énormément de problèmes, y compris sociaux, environnementaux… sociaux principalement, mais l’impact environnemental existe aussi.

Et puis à l’inverse, je visite des EHPAD, pas forcément des filiales de grands groupes, mais parfois des EHPAD qui sont détenus depuis plusieurs générations par une famille qui détient tout le capital et qui à son échelle fait ses arbitrages comme elle veut. Et c’est pas tous des gens qui cherchent absolument à s’enrichir, il y en a qui… vous parliez de Frédéric Le Play, que moi je connais bien, le paternalisme, on en a une vision, parfois évidemment un peu, comment dire caricaturale, en disant : « C’est de la manipulation de vouloir le bien de ses salariés, parce qu’in fine, c’est pour gagner de l’argent ».

Mais en réalité, vous avez en France, en Europe, une tradition d’entrepreneuriat qui avait des visées de progrès social. À l’époque, ça s’appelait le patronage, à l’époque de Frédéric Le Play, et il y a eu énormément d’exemples et beaucoup de choses qui ont été inventées, y compris les caisses de secours mutuelles, les logements ouvriers, et cetera.  On ne va pas refaire toute cette Histoire, mais c’est super intéressant. Donc,  il y a des gens qui sont un peu héritiers de ça dans leur culture, dans leur tête et qui font les choses bien.

Après vous avez raison, il y a une entropie, ce qui fait que quand ils partent à un moment donné, les enfants, les gens qui vont mettre la main sur l’entreprise… elle va finir dans d’autres mains, donc je suis d’accord que le statut doit être une protection, mais il faut pas non plus penser qu’il y a des protections absolues.

Parce qu’en France, on a eu une histoire des coopératives, au début du XXe siècle, elles étaient très très répandues. Il y avait 500 000 personnes, à Paris, qui étaient membres d’une coopérative de consommation. Et puis tout ça s’est écroulé, notamment par des querelles idéologiques. Voilà, il y a une entropie, il y a toute forme de statut, il faut l’accepter aussi, je pense.

 

Public  1:00:40

– Je ne sais pas s’il y avait d’autres personnes qui voulaient réagir […]. Voilà j’ai raté le tout début, pas de la table ronde, mais les échanges. […] Il y a un truc que je trouve vachement intéressant qui n’a pas été dit, et je trouve du coup ça augure bien un peu de la suite de ce qu’on va discuter, c’est […] le rôle de l’impact généré par les sociétés.

C’est un terme qui a pas été évoqué, ou alors vraiment de manière marginale. Je trouve ça vachement important, d’abord par rapport à ce qui a été évoqué précédemment […], se dire dans un moment où on réfléchit vachement, où il y a cette espèce d’attirance, de fascination de l’autocrate – vous disiez – l’impact, c’est la bonne solution.

C’est à dire qu’en ayant tous les leviers, je suis sûr de maximiser l’impact que je veux avoir. Et je pense justement que quand on part de vos profils, très souvent – comme c’est un peu ça le paradigme dominant dans lequel on essaye de nous emmener – on a tendance à voir tout un tas de gens – c’est vrai dans les entreprises à mission mais aussi dans l’ESS et cetera – à vouloir courir après ce paradigme.

Alors je pense qu’on a des choses beaucoup plus intéressantes à raconter si on regarde… peut-être qu’on génère un impact intéressant, mais le plus intéressant, c’est comment on le génère, quel est le paradigme qui permet de créer du bien-être en milieu d’aide à la personne, de la répartition de la valeur… enfin bref, toutes ces questions-là. Donc ça, déjà je pense, c’est extrêmement important. Du coup, ça augure plutôt bien de ce qu’on va pouvoir se dire ensuite.

Par contre, la question que j’avais… bon là on est pas mal revenu sur les statuts. Parce qu’au final, la vraie question, c’est… enfin si on veut que l’entreprise change le monde d’un point de vue positif – parce qu’elle le change déjà bien, elle a pas besoin de nous et de nos réflexions pour continuer  […] – donc la question c’est : si on veut essayer de le changer de manière positive – et vous l’avez assez vite évoqué – c’est la question de la moralisation.

Bon, est-ce que c’est la moralisation ou pas, mais cette question de faire prendre conscience. Et même dans les exemples que vous donnez, au final on voit que, et bien la question, c’est un peu celle de la grande transformation qui fait échapper ce côté moral que peut avoir un individu pour arriver sur un, effectivement, un capitalisme familial. Oui, le chef d’usine, le patron de forge, il voit la misère que peut générer son usine.

Par contre, l’actionnaire éthéré basé dans un paradis fiscal, non, et d’ailleurs c’est pas son but. Et donc il y a quand même cette question de, justement, l’individu, de ce qu’on met là dedans ,et à partir du moment où on est dans ce contexte, dans ce paradigme-là, pour le coup je ne vais pas revenir, parce que moi, mes deux questions, il y en a une qui l’a déjà évoqué, c’était celle des statuts, qui est effectivement un garde fou imparfait et cetera.

Et là-dessus, j’aimais bien ce que vous disiez, notamment sur toutes les dérives qu’il peut y avoir, qu’il faut pas nier, mais néanmoins le garde fou que ça vient amener notamment pour les transitions, le changement de  personnes. Conserver une culture d’entreprise, c’est aussi la fixer dans des statuts.

Par contre, l’autre question, c’est celle de la loi qui, au final, pour moi, paraît un peu absente dans la diffusion que vous avez. Parce que c’était pas les questions posées non plus, hein […] c’est bien de se dire on va, entreprise par entreprise, modifier les statuts, mais au final dans ce que disait Guillaume Desnoës, il y a une question, moi que je trouve intéressante : « Ah ce qui est bien aujourd’hui dans l’entreprise à mission, c’est deux paragraphes. On sera plus fort quand ça sera quatre pages. »

C’est à dire, au final, l’idée de se dire : si on veut éviter demain d’avoir des Manuel Faber ou d’autres, qui sont dégagés parce que le contre-pouvoir de l’entreprise ne leur permet pas de résister à un pouvoir d’actionnaires extérieur, et ben il va falloir que ça passe par la loi.

Et donc quelque part c’est un peu ça ma question : on a bien le levier de contrôle du statut, mais quand on interroge cette question de comment l’entreprise peut être un outil politique pour changer la loi, est-ce qu’au final on ne retombe pas sur les questions bassement politiques de dire qu’il faut que la loi impose x pour cent de salariés dans les conseils d’administration. Il faut que la loi impose, pourquoi pas, l’interdiction du privé lucratif dans certains secteurs, et cetera, et cetera, sans parler des normes environnementales.

Corentin Gombert  1:04:20

– Je vous propose juste de prendre une autre question parce que ça sera sans doute la dernière, vu le timing. Comme ça, vous pourrez choisir vos réponses, si ça vous va.

 

Public  1:04:32

– De toute façon, c’est dans la continuité des choses qui ont été dites avant. Donc effectivement, au-delà du statut, de la culture de l’entreprise, de la vertu du fondateur, ou de la finalité qui est, on pourrait dire, l’espace de l’identification du regroupement, des statuts comme une forme de Constitution – pour faire une analogie -, ce que Monsieur a mentionné, c’est la propriété collective en premier lieu.

Ce qui est encore autre chose que la question constitutive ou juridique, et qui implique la question du traitement du capital, d’un traitement différencié du capital, et donc, qui révèle les structures économiques profondes qui sont à l’œuvre, qui sont déterminantes de l’organisation collective qu’on parvient à construire.

Et en plus, vous soulignez les facteurs exogènes, et justement, j’aimerais bien parler des associations qui, juridiquement, n’ont pas de capital social. Donc, c’est même pas les coopératives, avec leur traitement du capital bien encadré dans les statuts. Et pourtant on peut voir des rapports de travail qui sont porteurs de situations similaires, voire aggravées, pour d’autres facteurs, c’est documenté. Elles ont aussi besoin de chercher des débouchés. Chez elles, ça se traduit par chercher des financements. Donc elles sont dans une posture au marché qui est déterminante de leur action. Et du coup est-ce que finalement, on n’en revient pas toujours à la même question ? Le marché en tant que régulation sociale : est-ce que c’est pas l’empêchement ultime à la transformation, et dans ce cas-là, si la loi doit intervenir sur quelque chose, est-ce que c’est pas là-dessus qu’elle doit intervenir ?

 

Marc Fleurbaey  1:06:35

– D’accord oui. Donc, les deux questions se complètent effectivement. Je trouve qu’on peut résumer en disant que l’économie de marché, libre, avec le capitalisme comme forme dominante des entreprises, c’est une tragédie. Précisément parce que c’est un mode de sélection qui encourage les acteurs les moins scrupuleux : ceux qui externalisent leurs coûts, et qui privatisent les bénéfices, ce sont eux qui gagnent dans cette compétition. Et donc effectivement, j’avais un peu une inquiétude par rapport à cette journée, qu’on mette en avant certains statuts particuliers en disant voilà, il y a une niche à développer. Alors que la vraie question sociétale c’est toutes les entreprises qu’il faut changer. Et c’est le cœur, c’est les entreprises mainstream qui sont vraiment problématiques, et si on ne s’attaque pas à ce cœur-là, on n’en sortira pas.

Alors comment le faire ? Effectivement, ça c’est compliqué. Donc on parle de la loi, mais la loi, dans un seul pays, pour reprendre une vieille ancienne, ça n’est pas facile non plus, parce qu’il y a la concurrence internationale, et donc est-ce que le niveau européen, c’est le bon niveau, est-ce que ça suffit ? Voilà, il y a les questions de régulation, donc la transformation de l’ensemble des entreprises est un vrai problème auquel il faut s’attaquer. Mais voilà, c’est très compliqué.

 

Jeanne Cartillier  1:07:55

– Je voulais juste donner un complément qui faisait écho notamment aux structures associatives. Moi, je suis convaincue que dans les structures dites « de la transition » – alors comme ça, ça a le mérite de tout embarquer, tous les statuts, enfin, en tout cas pour llesquels il y a une raison d’être dédiée aux transitions, écologique, social, et cetera – c’est un secret pour personne que c’est en particulier là qu’il y a des problèmes de souffrance au travail.

Simon Cottin-Marx a écrit un superbe ouvrage, C’est pour la bonne cause ![1] Il y a beaucoup de de travaux de chercheurs sur la souffrance en milieu engagé. Moi, ça me révolte particulièrement. Je te suis sur le fait qu’il faut que toutes les entreprises se transforment, et que pas seulement certaines. Mais je pense qu’il y a une exigence supplémentaire quand on a une finalité liée aux transitions, ou qu’on appelle autrement, et que ce nom dit ce paradoxe qui fait qu’il peut y avoir aujourd’hui des comportements complètement abusifs , d’autocratie, et cetera, dans ces structures-là… moi ça me révolte d’autant plus. Voilà. Donc j’ai juste envie, quand même, de dire c’est pour toutes les entreprises, mais mettons la focale sur cette notion de congruence ou de cohérence entre ce qu’on prône et comment on le fait, et comment sont ces espaces-là. Au lieu de toujours montrer la grande entreprise, d’ailleurs, ça peut être des très grandes entreprises, mais je veux dire, en tout cas, que je plaide vraiment pour cette cohérence nécessaire.

 

Guillaume Desnoës  1:09:19

– En deux mots pour dire que je suis d’accord avec vous : il faut reprendre aujourd’hui le fil d’une histoire législative et il faut réformer l’entreprise par la loi. Alors ça, c’est un avis personnel, ce n’est pas forcément l’avis de tous les membres de la communauté, je précise. J’ai écrit un petit livre, je vous enverrai en PDF si ça vous intéresse.

Je pense qu’il faut attaquer un sujet par tous les bouts. Il faut que les entreprises se changent elles-mêmes, il faut changer les cultures d’entreprise, il faut changer les normes de reporting, mais il faut aussi changer la loi.

Moi, j’avais même proposé un serment d’Hippocrate pour les entrepreneurs, parce qu’aujourd’hui, finalement – vous le disiez tout à l’heure – on vous laisse créer une personne morale à responsabilité limitée. C’est quelque chose qui donne un pouvoir énorme, qui vous permet de créer des nouveaux produits, d’embaucher des gens, puis de les mettre au chômage, de polluer.  Et finalement la responsabilité derrière, elle est très faible. Spiderman dit : « Grand pouvoir, grandes responsabilités », c’est aussi écrit sur le Comité de salut public à l’époque de la Révolution française. Donc c’est quelque chose dont il faut reprendre le fil.

Et ça demande aussi une vraie réforme culturelle, parce qu’on parlait de diversité des statuts par exemple… Moi, j’ai fait une école de management –  de commerce comme on dit. Une mutuelle, c’était pour s’assurer, mais on ne m’a jamais expliqué ce qu’était l’économie sociale et solidaire, qui représente quand même une fraction importante du PIB. La responsabilité limitée, on ne m’a jamais expliqué l’histoire des lois qui avaient donné lieu à ça, des débats démocratiques et des vraies positions contre qu’il y avait pu y avoir. Donc il y a toute une une histoire aussi à reconstruire, pour que ça devienne un vrai sujet d’opinion, un vrai sujet politique, le remettre sur la table. Mais je pense que c’est peut-être en train de revenir.

 

Marion Graeffly  1:10:53

– Peut-être un dernier point qui me semble très important. En fait, la façon dont nous, on s’est lancé dans le projet coopératif, c’est qu’on s’est dit qu’on avait une responsabilité : c’est d’être le laboratoire de nouvelles façons de fonctionner. Et c’est vraiment comme ça que, moi, je vois mon engagement au sein de TéléCoop et au sein des Licoornes.

Effectivement, pour moi le statut fait la vertu, mais si on pouvait avoir d’autres statuts que le statut coopératif, qui puissent nous assurer qu’on est en train de faire ce dont on a besoin – parce qu’on bosse, comme tous, pour la transition écologique et sociale, je crois, enfin en tout cas, moi, c’est ce qui m’anime tous les matins. S’il y avait un autre statut qui me permettait de m’assurer que toute l’énergie qu’on met, et vraiment se déployer dans cette logique-là, j’irai aussi, en fait.

Mais dans la réglementation telle qu’elle existe aujourd’hui, en fait c’est le seul statut que j’ai trouvé qui pouvait remplir toute cette vision qu’on avait, nous. Et donc je pense que le gros du problème pour réformer les entreprises, pour réformer le monde économique, c’est qu’on n’a pas de référentiel, on ne sait pas vers où on veut aller. Enfin, moi, c’est comme ça que je le vis et que je le comprends. C’est à dire que si aujourd’hui, on a autant de de mal à lancer un nouveau discours, à lancer un nouvel imaginaire, quelque part, parce que c’est ça dont on est en train de parler, c’est parce qu’on manque de référentiel.

Et je pense que dans nos structures, ce qu’on cherche à faire, c’est ça. C’est avoir un laboratoire de recherche-action, peut-être qu’on peut faire ça. Peut-être que bientôt, on pourra accueillir quelqu’un qui pourra travailler là-dessus avec nous. C’est à quoi ça ressemble, demain, une entreprise démocratique qui soit, quoi qu’il arrive, au service du vivant.

 

Corentin Gombert  1:12:35

– Merci beaucoup. Donc, je pense que la conclusion de la table ronde c’est : il faut changer l’entreprise, il faut changer le monde, il faut changer la loi, il faut tout changer.

[rires et applaudissements]

 

[1]https://journals.openedition.org/nrt/14080

Auteur.ice.s

Laura Ricci

Laura Ricci

Associée, Chargée de communication chez Dalibo

Venue des milieux associatif et documentaire, Laura s’est reconvertie en suivant la formation CoLibre. Depuis 2019, elle assure la communication externe de Dalibo. Son objectif ? Rendre visible le travail de ses collègues et promouvoir les valeurs portées par la SCOP et le Libre.

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